Produits pharmaceutiques en grandes surfaces : des centaines d’emplois à la clé
0 commentaire Marie MEHAULT
24 sept. 2018C’est un marché qui pèse pas moins de 3 milliards et demi d’euros : la distribution de médicaments sans ordonnance et de produits de parapharmacie. Il y a maintenant 4 ans, le géant E. Leclerc avait déjà entamé la bataille, en réussissant à obtenir l’accord pour vendre dans ses grandes surfaces des tests de grossesse, dont les pharmacies avaient jusqu’alors le monopole. Désormais, l’enseigne brigue le droit de distribuer l’ensemble du catalogue de produits existants et vendus sans ordonnance : autres tests de dépistages (comme le VIH, le cholestérol, les triglycérides, la fertilité…), produits de beauté des marques parapharmaceutiques, paracétamol, sirops pour la toux ou médicaments contre le rhume, soins dentaires, etc… la liste est longue ! C’est déjà le cas, par exemple, aux Etats-Unis.
Si l’hypothèse devenait un jour réalité, cela signifierait pour le secteur l’opportunité d’embaucher des centaines et même des milliers de personnes, afin de satisfaire la demande – énorme – des consommateurs, et de faire tourner partout, dans toutes les grandes surfaces de toutes les grandes enseignes de distribution, de nouveaux rayons. Alors certes, c’est loin d’être fait, mais déjà en 2014, un rapport mettait l’accent sur « les marges disproportionnées des pharmaciens sur certains médicaments ». L’IGF (Inspection Générale des Finances) indiquait dans ce document que le monopole des pharmaciens pour certains produits sans prescription médicale obligatoire n’était pas justifié, et recommandait l’ouverture de ce marché à la concurrence des autres distributeurs.
Or, ces médicaments à prescription facultative représentent tout de même entre 5 et 10% du chiffre d’affaire des officines, en France : chaque année, ils vendent ainsi sans ordonnance plus de 50 millions de boîtes de Doliprane, près de 6 millions de boîtes de Nurofen… Et l’IGF n’est pas la seule instance à remettre en cause le statut monopolistique des docteurs en pharmacie pour ces produits : l’Autorité de la concurrence préconise, elle aussi, « une ouverture limitée et encadrée de la distribution de produits pharmaceutiques au détail ». Car selon les calculs de l’Association UFC Que Choisir, « les baisses de prix engendrées permettraient aux Français de faire en moyenne une économie de 16% sur leurs dépenses de santé ». Le groupe Leclerc va plus loin et affirme pouvoir baisser les tarifs de ces consommables de 20 à 25%… En décembre prochain, dans moins de 3 mois, ladite Autorité de la Concurrence rendra sa proposition officielle sur le sujet.
Leclerc n’en est pas à son coup d’essai : il y a 30 ans déjà, le groupe remportait devant les tribunaux et face au lobby pharmaceutique, le droit de vendre des produits jusque-là réservés aux officines, comme l’eau oxygénée, l’alcool à usage médical ou encore l’aspartame ; plus tard, il réussit à s’imposer sur la vente de préservatifs en grandes surfaces, et en 2014 donc, sur la vente de tests de grossesse. A chaque fois, ses victoires font jurisprudence pour l’ensemble du secteur qui voit progresser son terrain d’activité, et embauche pour pouvoir assurer les nouvelles ventes. Mais si, cette fois-ci, Michel Edouard Leclerc gagnait ce tour de force – qui ne concerne pas quelques produits mais l’ensemble du catalogue des médicaments sans ordonnance -, pas question de laisser ce type de rayons sans surveillance, quand bien même ils seraient autorisés à voir le jour dans les grands magasins. Les grandes surfaces devront donc recruter des docteurs en pharmacie pour conseiller les clients, et former leur personnel pour la vente de ces produits particuliers.
« Aujourd’hui, les grandes surfaces recrutent plus facilement qu’autrefois des métiers qualifiés comme docteur en pharmacie », explique un chercheur de l’IRES (Institut de Recherches Economiques et Sociales). « Pour séduire ce type de profession, les enseignes mettent en avant des atouts indéniables comme des salaires rémunérateurs, une certaine autonomie, et des postes qui représentent une vraie avancée professionnelles : par exemple, Leclerc n’hésite pas à recruter des docteurs en pharmacie assistants de propriétaires d’officines, pour leur proposer de devenir responsables de leur rayon, autonomes, à la tête d’une équipe : c’est valorisant. Acheter sa propre pharmacie est devenu quasiment impossible pour les jeunes docteurs en pharmacie, qui sont condamnés à rester salariés de patrons pharmaciens pendant quasiment toute leur carrière, avant d’avoir les moyens de devenir eux-mêmes propriétaires. Devenir chef de rayon pharmacie en grande surface représente donc une alternative intéressante, avec les mêmes défis d’organisation du travail, de référencement, de management des équipes… ».
L’opportunité s’ouvrira peut-être demain pour des centaines de jeunes hommes et femmes docteurs en pharmacie : selon les enquêtes d’opinion auprès de cette profession, ce choix de la grande distribution ne rebutent plus, les nouvelles générations de pharmaciens délaisseraient le circuit classique plus facilement qu’on ne le pense : « les idées reçues évoluent, ça n’est plus du tout vécu comme quelque chose de déshonorant de vendre des produits pharmaceutiques en grande surface », explique l’un d’eux, salarié d’une officine en ville tenté par le dépaysement si la législation évoluait en faveur de l’ouverture à la concurrence. « C’est vrai qu’avant on opposait beaucoup le privilège d’exercer chez le pharmacien de ville, notable, noble professionnel installé, aux vulgaires grandes surfaces indignes de recruter des personnels à bac +6. Ce n’est plus du tout le cas », explique le directeur des achats en parapharmacie pour la centrale d’une grande enseigne. Leclerc, Auchan, Casino, U… pourraient donc lancer une vaste campagne de recrutement dans le secteur de la pharmacie dans les années, peut-être les mois qui viennent. Avis aux jeunes diplômés, comme aux personnes expérimentées, et même aux pharmaciens titulaires : selon les dernières études statistiques, un docteur en pharmacie gagne mieux dans la grande distribution qu’en officine, où il est rare de passer la barre des 37 000€ par an. « Chez nous, un adjoint va démarrer à au moins 40 000€ par an et gagner encore 10 000€ de plus en comptants les primes d’intéressement et de participation », explique un potentiel recruteur chez Monoprix. « En revanche les conditions de travail peuvent parfois être un peu plus compliquées qu’en ville, avec davantage de logistique, des objectifs commerciaux plus serrés, des horaires élargis… mais globalement, la recrue aura plus de responsabilités que dans une pharmacie traditionnelle, avec son propre compte de résultats et une progression de carrière plus rapide, un salaire plus élevé d’emblée ». De quoi y réfléchir à deux fois.