Carrefour, Marks&Spencer… l’emploi évolue plus qu’il ne disparaît
0 commentaire Marie MEHAULT
24 mai 2018Avis de tempête pour deux enseignes phares, chacune dans leur pays : Marks&Spencer en Grande-Bretagne, et Carrefour en France : la première vient d’annoncer qu’elle allait fermer 1 magasin sur 10, soit une centaine de magasins sur un total de 1000 points de vente. Le même jour, mardi 22 mai 2018, en France, le groupe Carrefour confirmait la stratégie d’austérité de son nouveau patron, Alexandre Bompard, et la fermeture probable de 227 magasins dans toute la France, essentiellement des supérettes de proximité, faute de repreneurs.
Pour autant, les responsables des ressources humaines ne sont pas tellement inquiets pour l’emploi global dans le secteur : « les postes évoluent. Certains postes, quelques milliers, sont évidemment menacés par ces fermetures de points de vente physique, mais ce sont des secteurs où la reconversion est facile, où la caissière peut assez rapidement se former en préparation de commandes pour les expéditions des achats réalisés par internet, et passer du grand magasin à l’entrepôt avec à peu de choses près les mêmes qualifications et le même niveau de salaire », estime un cadre de la direction exécutive clients, services et transformation digitale du groupe Carrefour.
Même écho du côté des économistes : pour l’Observatoire des PME et de la Grande Distribution, « le secteur reste un véritable vivier, en France, en matière d’emplois, et il faut relativiser les chiffres et les remettre dans leur contexte : ces deux enseignes vont fermer 300 magasins et devoir proposer un plan de reconversion à 2000 salariés, mais en France la grande distribution c’est plus de 30 000 points de vente et près de 800 000 emplois, pour un chiffre d’affaires global de 200 milliards d’euros. Il faut aussi savoir qu’aujourd’hui, près de 20% du marché sont occupés par des chaînes de la grande distribution venues de l’étranger, et qui connaissent un franc succès en France : le suédois Hema, le Néerlandais Action, sans parler d’Ikea qui continue à ouvrir de nouveaux magasins, et qui vient d’annoncer qu’elle se lançait dans les points de vente intramuros et qu’elle ouvrait un magasin dans Paris. Il y a des fermetures, mais il y a aussi énormément d’ouverture et si l’emploi se déplace, il ne disparaît pas ».
A l’ICL, l’Institut de Commerce de Lyon, on estime qu’il vaut mieux parler de changement de stratégie plutôt que de politique d’austérité, pour les enseignes qui annoncent des fermetures de points de vente : « Carrefour comme Marks & Spencer annoncent aussi, en même temps qu’elles évoquent les fermetures de certains points de vente, un redéploiement de leurs investissements dans d’autres canaux de distribution. On veut vendre autrement, mais continuer à vendre. Alexandre Bompard comme le groupe M&S veulent simplement gagner en efficacité et laisser derrière eux ce qui ne fonctionne pas bien, ce qui n’est pas assez rentable, pas assez moteur, pour se recentrer et investir sur ce qui va, sur les activités locomotives qui tirent la croissance vers le haut. Les deux enseignes ont d’ailleurs évoqué des redéploiements budgétaires dans la vente en ligne, et contrairement à ce que l’on croit cela suppose énormément d’embauches dans les secteurs de la logistique et du transport ».
Quels que soient les redéploiements stratégiques des grands groupes de la distribution en France, le secteur devrait continuer à embaucher énormément : « C’est peut-être l’un des domaines d’activités en France qui propose la plus grande variété de métier : dans les magasins, les sièges sociaux ou les entrepôts ; en caisse, en préparation de commande, en logistique, en management, en métiers de bouche, en hygiène, en manutention comme en marketing ; avec ou sans qualifications, en intérim, en CDD comme en CDI… des emplois variés, pour tous les âges : la grande distribution donne aussi bien leur chance aux jeunes sans qualification qu’aux seniors sur le marché de l’emploi », analyse un chercheur chez Nielsen, spécialiste des études de marché et des sciences de la consommation.
« C’est un secteur d’avenir en matière de travail », approuve un professeur au CESCI, le Centre d’Etudes Supérieures en Commerce International. « C’est un des volets de l’économie française qui recrute le plus, tout le temps, en permanence, et d’ici 2030 on pense qu’il sera devenu le secteur le plus créateur d’emplois en France, avec l’hôtellerie restauration et malgré les phases de restructuration par lesquelles passent tous les grands groupes du secteur, en France comme à l’étranger, en ce moment. Les géants de la distribution américains aussi sont dans une période charnière, qui semble critique aux observateurs de loin, mais qui est en réalité révélatrice d’une capacité à évoluer avec leur temps et innover pour répondre aux besoins et aux attentes de ses clients. Il reste fidèle à sa réputation de grand pourvoyeur d’emplois justement ainsi, en sachant tirer son épingle du jeu quand la société évolue et ses manières de consommer aussi ». Les nouvelles technologies et les nouveaux modes de consommation transforment les métiers de la distribution, c’est indéniable. Mais elle diversifie ainsi les compétences et crée, aussi, de nouveaux métiers, dans le web ou le marketing relationnel par exemple.